CHAPITRE 8 : Les années Rock'n roll
Prologue


Le Jojo, sa soeur Annie et deux voisines de la rue Damrémont : Liliane et Martine Droguerre

Charles s'est enfoncé dans une mauvaise humeur quasi permanente due, en partie, à la fatigue. En effet, outre son travail épuisant d'électricien sur des chantiers caniculaires l'été et glaciaux l'hiver, dans des caves sordides où sous les toits, il doit veiller à la rédaction des tracts destinés au diverses manifestations du Parti et à l'intégration des nouvelles recrues. Chaque soir, aprè;;s avoir rapidement avalé quelque chose, il se précipite au "48 " pour régler tous les détails d'une "manif " avec les camarades ou définir une action contre l'emprise de l'impérialisme. Il rentre toujours trop tard, se lè;;ve toujours trop tôt et le dimanche, alors qu'il pourrait dormir, il doit se lever pour aller vendre "l'Huma " à la sortie du métro Lamarck-Caulaincourt. Charles sait qu'il fait son devoir et ne se sent pas du tout soutenu dans sa démarche. Il est incompris et, de ce fait, dévalorisé.

Le temps confirme que Charles et Simone n'ont rien de commun. Lui, au fond, même s'il rêve de douceur et d'amour, se croit victime du destin, reste théorique et ne connaît que l'affrontement (heureusement la plupart du temps verbal). C'est un Guerrier Romantique. Le genre à écrire des poemes à une plante sans jamais penser à l'arroser, puis à pleurer lyriquement lorsqu'elle est morte. Il a besoin d'une approbation inconditionnelle. Dè;;s qu'il sent une résistance, il enrage. Il lui faut convaincre. Ne pas l'approuver revient à le réprouver, ne pas être d'accord avec lui c'est être contre lui, c'est attenter à sa dignité. Il se sent agressé, objet d'une tentative de meurtre. Et il veut se défendre. Son regard devient noir et lance des éclairs, ses sourcils se rapprochent, ses lè;vres se résument à une fente infime, les mâchoires se serrent et c'est la tolérance zéro. Le malentendu est alors total. Il croit qu'on ne l'aime pas. Que sa femme le hait, que le monde le hait et qu'un complot contre lui se trame dans l'ombre. Jusqu'à sa mort, il va se comporter ainsi.

Posée sur un dossier dans une salle obscure
Cette main que j'ai prise, un jour, innocemment
Cette main m'a causée bien du tourment
Et je m'efforce en vain d'en cacher la blessure
Tu es là, devant moi, le visage obstiné
Le regard dur, blessant, la voix vindicative
Ce que je dis ou fait, la moindre initiative
N'a pas de prix pour toi. Tu es l'Autorité
Et si, toujours aimant, ma petite Simone
Je te vois devenir mon antique Gorgone
Me transformant le cour en stupide caillou
Je rêve encore pourtant que ton âme insensible
Enfin s'éveille et cessant de me prendre pour cible
Dans un élan du cour te jettes à mon cou.


De son côté Simone ne sait que faire contre ce mur ignorant de lui-même. Charles est entiè;rement justifié, comme fait d'un bloc. Toucher au détail se répercute sur le tout. On ne peut en aucune maniè;re mettre en cause son comportement ou ses idées. De toutes maniè;res, elle n'y parviendrait pas. Son intellect n'est pas armé pour ce genre de combat. Elle ne peut que grogner à sa maniè;re, dans son coin, pendant des heures tant la chose la boulverse, jusqu'à ce qu'elle "avale la couleuvre". Ainsi, peu à peu, tout en continuant de vivre ensemble, chacun tente de s'organiser. L'indifférence dans le meilleur des cas. Ponctuée d'orages fulgurants qui les laisse exangues et chaque fois un peu plus éloigné l'un de l'autre.

Depuis toujours, Simone admire sa cousine Odette, fille de Marie Pellegrini devenue Gentner, dont on a vu que son grand'pè;re saluait sa laideur. Odette est elle-même devenue la suite d'Ada Pellegrini, la femme libre aux multiples paires de chaussures. Celle-ci, agée de cinquante six ans, meurt doucement d'un cancer de l'uterus à Villiers-le bel où elle habite toujours la Villa Dordet.


Odette Gentner, Fille de Marie Pellegrini à six ans.


Les deux femmes, Ada et Odette, sont l'aboutissement d'une certaine révolte féminine, entiérement justifiée par tout ce qui s'est produit avant elles : injustices, mépris, violences, guerres, avortements clandestins, maris brutaux, vies d'esclaves sans aucune reconnaissance. Par leur voix, c'est presque toute l'éternité féminine qui se révolte et refuse la fatalité. Simone ne voit pas tout cela mais elle le sent. Elle n'a pas le courage, mais elle le rêve. Elle admire Odette autant qu'Odette admire Ada.
Odette n'est pas ce qu'on peut appeler "belle", mais elle a une personnalité intense et fulgurante, une répartie à toute épreuve et un sens absolu de la séduction. Elle est habillée avec soin. Une pointe d'arrogance et un soupçon de "populaire" en fait une prolongation italienne d'Arletty. Les provocations d'Odette enchantent et terrorisent Simone qui, jamais, n'oserait l'audace. Elle est comme un supporter d'équipe qui se réjouirait des scores de son idole, mais qui n'oserait jamais aller sur le terrain. "Et si j'attrappais la chtouille ?" s'épouvante-t-elle. " et si je tombais enceinte ?" Odette balaie tout d'un revers de la main. "Ma pauvre cousine, si il fallait se préoccuper de tout ça, on ne ferait jamais rien. Tu risques de jouir, aussi, tu y as pensé ? "
Grave question. Charles n'est pas une grosse nature. Tout est dans sa tête. Et sa tête est dans le parti. Elle se dit qu'elle le quittera un jour. C'est fatal.


Odette, Simone et une copine sur les marches du Sacré-Cour.

Charles est trè;s occupé. Depuis Hiroshima, la hantise de la guerre atomique s'installe. Depuis l'été 1950, la Corée est en guerre : le Nord, d'où les troupes Russes sont parties en 1948, contre le Sud, qui est envahi. Dè;s le début, si les Russes soutiennent le Nord, les américains soutiennent le Sud. La guerre du Viêt-nam commence là. Le Parti s'élè;;ve avec vigueur contre l'engagement américain, mais aussi contre le plan Marshall et le Pacte atlantique, véritable contrat qui, selon le Parti, menace l'indépendance de la France. De nombreuses manifestations sont organisées, notamment celle demandant l'interdiction de l'emploi des armes atomiques. On recueille 500 millions de signatures dans le monde, dont 14 millions en France. Charles s'active. Les élections législatives d'avril 1951 confirment le Parti Communiste comme premier parti de France.
Charles écrit :

Difficile de voir clair dans ce foutoir du monde
Où le mal devient bien et le bien mal devient
Où la haine et l'amour dans le creuset se fondent
Se transformant l'un l'autre et s'unissant de liens
Tels qu'il est difficile à ne pas les confondre
Si j'affirme aussitôt la réponse me nie
La réponse elle-même à peine a me répondre
Qu'à peine formulée, elle a finit sa vie
Et le temps imprenable en changeant toute chose
Nous conduit à la mort où cependant repose
Changée en son contraire ainsi continûment
En elle une autre vie établie en nos ruines
Si c'est la fin du jour quand le soleil décline
Ailleurs, c'est le matin et le même firmament

Nous sommes en 1951. Ada Pellegrini vient de mourir dans la Villa Dordet. Odette vit seule avec sa fille Claudine (7 ans) aux Lilas aprè;;s avoir divorcé. Julius et Ethel Rosenberg sont comdanés à mort.
Et Simone pleure sa vie gâchée.


La petite Simone devant son destin . 1926