CHAPITRE 5 : Charles et Simone
La guerre de mille ans
Prologue

 

 

 

 


Theresa Perotti, derriere

Simone comprend vite qu'elle ne peut rien contre la force d'attraction du Parti. Elle décide, sinon de "vivre sa vie", du moins de l'aménager le mieux possible. Elle prend du travail à faire chez Zimbacca, renoue avec ses copines et surtout avec Odette, sa cousine, avec qui elle va désormais hanter les bals, dont "Le Petit Jardin", avenue de Clichy, dès qu'elle a un instant libre.
Et ils sont nombreux.

Dès que le petit Georges, qu'on appelle "Jojo" pour le différencier de son grand'père, est en âge d'aller à la maternelle de la rue Vauvenargues, elle le fait garder le midi pendant qu'elle va oeuvrer au ménage chez le marchand de couleurs de la rue Pajol ou chez le photographe de la rue Damrémont. Il arrive que Charles garde son fils, certains soirs, pendant qu'elle termine son ouvrage, mais il commence à piaffer dès vingt heures et lorsqu'elle apparait, il la presse : "grouilles-toi, j'ai une réunion de cellule !". Elle fait cuire en hâte la tranche d'escalope ou le "biftek" qu'elle vient d'acquérir le plus souvent à crédit chez l'italien, puis il part en courant. Elle l'entend dévaler l'escalier, traverser la petite cour, puis la grande. Son pas décroit puis la grille rape le sol lorsqu'il la referme sur lui. Un grand vide se creuse en elle. Elle s'assoit sur le tabouret de la cuisine, prend son fils contre elle et pleure.
Il la regarde pleurer, demande ce qu'il peut faire. Elle hausse les épaules d'un air d'impuissance. Dans son petit esprit, il se dit que si il n'était pas là, ce serait mieux pour elle.

Le "petit Jo", selon sa mère ou "Jojo" pour les autres, est un enfant joufflu aux grands yeux noirs en amande Croisement improbable entre un espagnol et une biche. C'est un enfant agité. Harcelé de cauchemars, il hurle volontiers dès que son père l' arrache du lit où il dormait avec sa mère, pour le mettre dans son lit de bois, pourtant contigu.
Comme il a peur de l'obscurité, dès que son père éteint, c'est comme si, lui, on l'allumait : il braille immédiatement. Charles en est évidemment exaspéré. Il est une heure du matin. Il doit se lever à sept heures. Simone propose chaque soir d'allumer une lampe a huile. Il refuse. On ne va pas céder à un bébé. Le noir existe. Il faut qu'il s'habitue aux réalités.
La réalité du moment est que le Jojo hurle de plus belle pendant une heure et finit par s'endormir, épuisé, et tout le monde avec lui. Il ne reste presque plus de temps avant que le fichu réveil ne sonne et quand il sonne, une fois sur deux, il va finir écrasé contre le mur. Mais comme Charles ne s'en lève pas pour autant, Simone ose émettre un timide : "Lolo, c'est l'heure.", sachant qu'elle va se faire incendier. Mais il faut bien. Elle ajoute : "Tu vas encore être en retard". Un grand soupir lui répond. "Vous me faites tous chier."

C'est pratiquement le même scénario tous les matins, avec quelques variantes : parfois, le chat a pissé dans ses charentaises, ou bien il renverse le café parce que la queue de la casserole tourne (ce qu'il sait parfaitement). Simone se fait traiter de salope, le bébé de petit con, les patrons d'ordures et la société de chienlit. Là dessus, il claque la porte, dévale les escaliers, traverse la petite cour...etc.
Avec le temps Simone pleure de moins en moins. Elle regarde son fils en hochant la tête et lui murmure : "J'espère que tu ne lui resembleras pas."


Facile à dire....