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CHAPITRE 4 : Fançais et Parisien à la fois | ![]() |
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Georges Picard, né le 24 janvier 1899, dans la matinée, se révèle être un adolescent très amusant, et plutôt pitre. Déjà, enfant, il profite des clients du bistrot de son père pour se procurer un public conquis d'avance. Comme il est le petit dernier, il n'a pas subi l'écrasement provoqué par la "belle nature " d'Eugène. Et il n'a que très peu de séquelles de la syphilis transmise par son père. À peine quelque vacillement dans le regard, mais sans gravité. Il
a quinze ans en 1914. Il est trop jeune pour partir, mais la guerre
s'éternisant, il s'engage en 17. Démobilisé en 18, il épouse Agnès
Pellegrini, le 24 mai 1919. Elle a 20 ans et c'est la fille des
voisins Italiens. On ne sait pas comment ils se sont rencontrés,
mais étant donnée la proximité du 309 et du 311, on peut supposer
qu'ils se connaissent depuis longtemps.
Georges a un grand défaut, qu'il gardera toute sa vie : il est "taquin ". Il émaille ses propos de plaisanteries qui ne sont pas toujours d'un goût excellent, il envoie des "piques" et des "vannes" qui, ajoutées à son côté "Titi" Saint Denisien, frisent l'ordinarisme le plus français qui soit. Plus tard, il sera l'illustration que ce qu'on qualifie de "franchouillard", avec béret basque vissé sur la tête, chemisette et short kaki, sandales de plastique transparent, fumant des "boyard " papier maïs, une baguette de pain sous le bras gauche et le "Parisien" sous le droit. Un "Deschien " authentique. De plus, il continue de voir une infirmière qu'il a comme maîtresse avant le mariage. C'en est plus que l'italienne, très à cheval sur les principes, ne peut admettre, et elle le fait savoir. Par conséquent, Georges évite sa belle-mère.
Agnès est ravissante, très brune, le visage d'un bel ovale. Elle a un regard très perçant mais doux à la fois. Elle n'a pas les deux pieds dans le même sabot et s'active sans cesse, avec bonne humeur. Georges n'est pas mal non plus. Il est grand, mince sans être maigre et n'a pas un visage mou. Quatre mois après le mariage, elle est enceinte.
Maurice
Picard, le frère ainé de Georges, n'est pas revenu
de la guerre. Il est porté disparu à Douaumont. On n'a retrouvé
que la moitié de sa gourmette. Eugène est effondré, mais Léontine
s'accroche à l'infime espoir d'un retour toujours possible tant
que le corps n'est pas retrouvé.
Edmond,
le second frère de Georges, est rentré de la guerre, éprouvé
mais vivant. Avec sa femme Laure il habite avenue du Président Wilson,
au café qu'ils ont aménagé d'un grand rideau qui les sépare de la
salle.
La bâtisse n'est peut-être pas d'un confort absolu, c'est minuscule, mais ils sont chez eux. La cuisine est lilliputienne et fait office de salle à manger : une table, quatre chaise, un petit buffet la remplissent entièrement ; la chambre n'a pas de fenêtre, mais un vasistas. Le lit y est forcément pliant : une fois déployé, il occupe tout l'espace. Au fond de la pièce, deux marches donnent sur une verrière torride l'été et glaciale l'hiver. Jusque là, Georges vit d'expédients et de bricolages en tous genres. Employé par le gaz de France situé derrière le café de son père, il n'y reste pas. Un matin, Agnès, lisant le journal, voit une annonce de la CPDE (Compagnie Parisienne D'Electricité), dont le siège est sis au coin de la rue des Dames et de la rue des Batignolles, à Paris 17, et la lui indique. Georges s'y présente : à condition d'y suivre une formation, il peut y prétendre. Sans hésiter, il s'y lance immédiatement, et étudie l'électricité sur des cahiers d'écolier. Ces cahiers, conservés, en disent long sur Georges Picard (et sur le Verseau qu'il est). L'amour des schémas, d'abord. Tout est dessiné parfaitement sur le papier quadrillé, ce qui permet une vision claire du cheminement électrique. L'écriture est soigneuse, faite pour être lue facilement, un peu retenue par l'arrière, comme si il freinait une énergie trop rapide. On y trouve tous les cas de figure électriques, y compris le "montage chambre d'hôtel ", en va-et-vient . L'autre aspect de sa nature est qu'il compose des paroles satiriques sur des chansons à air connu. Celle-ci, par exemple, écrite en 1940, (il a quarante et un ans) sur l'air de "c'est porr mon papa " : D'puis
qu'Hitler et ses amis sont venus à Paris
Comme il étudie sérieusement, il peut prétendre au poste. En 1923, entre dans l'entreprise. Avant son mariage, Agnès travaillait dans une usine à la Courneuve, avec sa soeur Ada. Elle continue pendant sa grossesse, puis s'interrompt pour accoucher. Une fois la petite Simone née, le 10 mai 1920, Georges prévient qu'il ne veut plus d'enfant. Malheureusement, pour cela, il faudrait qu'il "se retire", comme on dit avec élégance. Cela ne doit pas lui venir à l'idée puisqu'au début juillet 1922, Agnes comprend avec angoisse qu'elle est enceinte. Elle a 23 ans. Georges
tient de son père et de son époque. Dès qu'il apprend la nouvelle, il
se fâche, l'insulte et la frappe. Elle tente de se défendre mais doit
fuir chez sa mère. | ![]() |