ESSAI DE TECHNIQUE IDÉALE
pour la peinture à l'huile

HUILES ET RÉSINES

"Le jugement Dernier", détail

D'après la tradition, la peinture à l'huile serait apparue vers le 15e siècle, en Hollande. Cette découverte est généralement attribuée aux frères Van Eyck, mais il faut admettre qu'on se servait déjà d'huile pour peindre des sculptures et exécuter des glacis sur des tempéra.
Depuis l'antiquité, probablement depuis l'âge des cavernes, on se sert de l'oeuf comme médium, ainsi que la cire.
Cependant la généralisation du procédé à l'huile va diviser progressivement, mais sans guerre, les peintres en deux groupes. Les traditionalistes vont continuer le travail des fonds à tempéra et rehausser à l'huile plus ou moins en épaisseur puis, vers la fin du 16e siècle la division devient flagrante avec Rembrandt et Rubens qui n'utilisent plus les transparences pour les clairs, comme avant, mais au contraire les chargent en épaisseurs pour accrocher la lumière. Le 18e siècle, avec Fragonard et watteau ( par exemple) verra le triomphe de l'huile siccativée par opposition aux résines polymères.

Il règne a ce sujet une énorme confusion. Elle est loin d’être dissipée par les fabricants. Les couleurs que nous avons aujourd’hui dans les tubes, à part quelques rares marques artisanales, comme les couleurs Leroux, n’ont plus grand chose à voir avec celles des anciens, ne serait-ce que par le véhicule.
Une couleur à l’huile est faite de pigments minéraux ou végétaux broyés le plus finement possible et malaxés dans une huile normalement siccative. C’est à dire "séchant " relativement vite. Avant l'industrialisation, on utilisait l’huile de noix et l’huile de lin. Avant de la mélanger aux pigments, on la faisait cuire longuement au soleil, ce qui renforçait sa siccativité. Bien entendu, s’il est bon pour le peintre que l’huile sèche relativement vite, cela est exécrable pour le commerçant : les invendus durcissent dans les tubes. Celui-là préfère nettement une huile peu siccative, voire pas du tout. Voilà pourquoi l’huile d’oeillette nous arrive : elle est peu siccative et se conserve longtemps.
Il s'ensuit que la pâte ne doit jamais être utilisée telle qu’elle sort du tube. Après l’avoir bien malaxée au couteau, il convient de lui adjoindre une petite quantité de vernis à peindre, comme on l'appelle souvent pour ajouter à la confusion..

MÉDIUMS

Le médium, où vernis à peindre, peut être de deux natures. Soit il suit la recette ancienne (jusqu'à Rubens, environ), résineuse ; soit plus moderne, huileuse au siccatif, obtenue par cuisson de litharge (oxyde de plomb) dans l'huile.

a)Procédé à l’ancienne : la pâte durcit par la résine

Campin

Ce procédé utilise la résine (voir le traité à ce sujet) , dont le Baume de Térébenthine de Venise, liquide pâteux que l’on recueille, après incision, du Mélèze (Pinus Larix). C’est de ce baume, résine pure, qu’on tirait autrefois, par distillation, l’essence de térébenthine de Venise ou, plus précisément : l’huile essentielle de térébenthine de Venise. La térébenthine que l’on connaît aujourd’hui est tirée du pin maritime, elle est dite térébenthine commune. On peut aussi utiliser de l’essence d’Aspic, tirée de la lavande mâle. Son odeur est délicieuse, son prix un peu moins. Étendu d’essence de térébenthine ou d’aspic, le baume de térébenthine de Venise confère aux couleurs une fraîcheur et un éclat extraordinaire, mais il sèche très lentement. J’utilise plutôt le médium flamand de chez Lefranc-Bourgeois (en tube. Car en pot, il contient de l'oxyde de plomb), que je dilue ainsi : pour 1litre, 1/3 du tube de 60 ml de médium flamand, 2/3 de litre d’huile de lin, 1/3 d’essence de térébenthine (souvent mélangée à de l’essence d’aspic, pour plus d’effet plastifiant et pour l’odeur), que je distribue dans des petits flacons compte-gouttes, de manière à ce que l’air n’y reste pas. La térébenthine s’oxyde à l'air et poisse. Il existe un médium à la térébenthine de Venise, chez Lefranc-Bourgeois. Chez Talens un baume de Térébenthine de Venise pur.

Ce genre de pâte est faite pour couvrir et effectuer de subtils fondus au bombé-usé de martre, comme dans l'oeuvre de Robert Campin qu'on voit au dessus, peinte vers 1420 sur une base tempéra. Cela suppose une préparation très soignée, tout à fait incompatible avec l'improvisation. Pourtant, on pourra essayer de peindre directement avec du baume de térébenthine de Venise, car cela peut faire de très belles transparences.

b) Procédé moderne : La pâte durcit par l’oxyde de plomb (siccatif)



Les pigments sont broyés dans un mélange d’huile crue (de noix ou de lin) et d’huile noire, huile cuite dans la litharge (oxyde de plomb). On vend différents vernis à peindre, ou médiums, mais je n'ai jamais réussi à en comprendre la nécessité. La plupart des médiums sèchent beaucoup trop vite et ne sont viables que fortement dilués. Là encore, la confusion règne.
L’huile de broyage se nomme : agglutinant. (Huile de noix ou de Lin.) Le vernis à peindre qu’on lui adjoint est un médium. (Huile + siccatif + térébenthine.)
Ce qui le fluidifie est un diluant. (Médium, cette fois allongé de térébenthine commune, d’essence d’aspic ou de pétrole lampant)
Le diluant, par sa composition, doit se rapprocher du vernis à peindre, mais en plus léger. Dans notre technique, on s'en tiendra à la première formule, plus prudente. Quoiqu'il en soit, n'utilisez le siccatif qu'avec prudence. N'achetez jamais de vernis à peindre tout préparé.

Dans tous les cas, on veillera à ne pas utiliser la peinture telle qu’elle sort du tube. Selon le résultat que l’on veut obtenir, on lui adjoindra soit un médium constitué de térébenthine de venise + essence de térébenthine, pour une pâte brillante, soit du médium flamand en gel + essence de térébenthine, notamment pour les glacis partiels, soit un médium vénitien (plus liquide) contenant du siccatif. Et pour le travail au couteau du médium Maroger, en gel, tel quel.
Si l’on veut diluer la pâte en cours de travail, on utilisera le médium cité plus haut : 1/3, 2/3.

Françoise Moreno
Françoise Moreno : Verrerie vénitienne

Le Vernis à retoucher est un médium résineux, séchant vite, qu’on prétend utiliser pour retoucher. En réalité, ce vernis, tout comme le Dammar qu'on emploie pour le vernissage final, ne sèche jamais. Une fois le diluant évaporé, il apparaît effectivement une surface lisse et brillante qui protégera l'oeuvre, mais cette surface peut s'ôter à chaque instant avec de l'essence de térébentine. Tout ce qui aura été peint avec ce vernis partira lors du dévernissage. Ce fait est très utile pour les restaurateurs, mais pour le peintre, ce peut être un désastre. J'en ai fait l'expérience. Par conséquent : ne jamais peindre avec du vernis à retoucher, ni avec aucune résine Dammar. Préférer une dillution huile+térébentine+médium flamand ( Lefranc-Bourgeois) ou l'Huile Flamande "Vermeer" à l'huile de noix, de Sennelier, qu'on trouve aussi chez Laverdure, 58 rue Traversière 75012 Paris.
Lorsqu’on peint à l'huile, ce doit toujours être Gras sur maigre. Cela signifie que la couche du dessous doit toujours se trouver moins grasse que celle qui vient par-dessus. Dans notre procédé, comme la préparation a été faite au plâtre amorphe et que celui-ci absorbe, ce sera presque toujours le cas.

Il ne faut pas s’attendre, sur ces sujets techniques, à ce que tout le monde soit d’accord. Chacun possède sa théorie et sa méthode, ce qui est très bien comme ça. Cependant, on peut voir les œuvres lamentablement écaillées après seulement quelques années lorsque la pâte est utilisée telle qu’elle sort du tube, et ce d’autant plus qu’elle a été étalée à la brosse. L’adhérence d’une huile peu siccative est faible. On peut en faire très facilement l’expérience en la laissant sécher sur une plaque de verre. Avec le médium approprié, gratter devient pratiquement impossible après quelques jours.

D’autre part, chez beaucoup de peintres–et de critiques–il existe un grand amour de "la matière ", de la touche drue, en mouvement. C’est tout un art, en effet. Mais rien n’empêche d’adjoindre à la pâte un bon médium en gel. (Le médium Maroger est parfait pour cet usage On le trouvera dans les boutiques précitées)


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" Kurt Weil ", entièrement et exclusivement peint au vinyle sur toile, 81x65 cm, 1995
Collection particulière

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