ESSAI DE TECHNIQUE IDÉALE
pour la peinture à l'huile

PRÉPARATION DES FONDS


Georges Faget-Bénard
" Thérèse d’Avila ", huile sur toile, 65x54 cm 1999

L’acte de peindre ne naît pas d'une nuée de pinceaux de deux mètres, un tas de pâte sur une truelle, une jolie blouse aux manches bouffantes et surtout très incommodes, comme le veut le cliché consacré. Il s’agit d’un projet calculé, dont tous les éléments sont d’importance identique : aussi bien l’image finale que le support sur lequel, on doit l’espérer, elle tient. Par conséquent, il est bon de faire parvenir le plaisir partout, dans toutes les étapes. Pour cela, pas de mystère, il faut apporter du soin, de l’attention. Tout comme on l’apporterait à un bébé. Néglige–t–on ses pieds parce qu’on aime ses yeux ? Il doit être viable partout, aimé partout. Pour lui-même en tant que tout, ce tout étant fait de détails. Chacun d'égale importance.

LE SUPPORT est la colonne vertébrale de notre bébé. Un support rigide est toujours meilleur qu’un support souple, épais meilleur que mince. L’idéal étant la technique ancienne d’un support de bois bien sec marouflé (encollé) d’une toile fine enduite de Case Arti* et de plâtre amorphe ou encore de poudre de marbre qu'on ponce ensuite. On obtient de la sorte un plan de travail lisse comme du marbre : un rêve sur lequel le pinceau va glisser et ne (presque) jamais s’user.

À défaut, car le bois est lourd et malcommode, on prendra une toile rigide, sur laquelle on maroufle une toile fine, traitée au case Arti ou Gesso et plâtre amorphe, à moins qu’on ne préfère la poudre de marbre.

L'enduit

Et, encore à défaut, ce qui aura lieu la plupart du temps, on pourra se contenter d’une toile du commerce avec enduit universel, qu’on retravaille au Gesso + poudre de marbre. On mouille la poudre de marbre jusqu'à en faire une pâte onctueuse, ni trop liquide ni trop épaisse qu'on verse dans un pot de gesso. 300g de marbre pour 1 kg de Gesso que l'on brasse jusqu'au parfait mélange. Par ailleurs, on aura pris du pigment en poudre ou du colorant acrylique de la couleur adéquate (elle varie selon les sujets, mais en général la Terre d'ombre est parfaite), qu'on aura mouillé également ( quelques gouttes de caparol peuvent se révéler utiles), qu'on mêle à notre préparation pour confectionner l'enduit.

etalage


Les premières couches du mélange sont étalées au couteau à peindre (un couteau large et long est plus pratique), en raclant soigneusement sur la tranche, comme on le ferait avec du beurre sur une biscotte un jour de disette. Il s’agit de boucher la trame du tissus, pas de replâtrer les murs ! Répéter l’opération trois ou quatre fois en humectant au vaporisateur entre chaque couche : le marbre en poudre est absorbant : il ferait des traces. Laisser sécher, puis poursuivre au spalter. Humecter à chaque fois : selon que la toile est grossière ou fine 8 à 12 couches ne sont pas de trop. Bien attendre le séchage entre les couches. On enduit pendant qu’on prépare le dessin. Puis on ponce en tournant, sans appuyer mais en insistant et en se méfiant de la barre centrale du châssis qui, si elle marque, peut ruiner tout ce beau travail.
La toile, au final, devra être absolument lisse comme du marbre. Aucun défilement n’est possible : tout défaut réapparaîtra inexorablement lorsque l’œuvre sera vernie. Vérifier en lumière rasante.

Les anciens, sur toile, procédaient aussi ainsi :

La toile vierge, en lin, était tendue sur un châssis. Posée à plat, elle était encollée à la colle de peau de lapin, au sabre. Venait ensuite une première imprimeure, faite d’ocre rouge broyé à l’huile de noix cuite avec de la litharge (oxyde de plomb qui rend l’huile siccative) qu’on étalait. Une fois sèche, cette couche était poncée soigneusement à la pierre ponce. On passait une seconde couche, cette fois au rouge anglais (oxyde de fer très solide), qu’on laissait sécher. On la ponçait encore, pour la recouvrir d’une seconde imprimeure, grise, constituée de blanc de céruse et de noir de charbon. Cette couche légère permettait la luminosité.

Certains maîtres peignaient directement sur l’imprimeure rouge. Poussin, par exemple, Joseph Vernet et bien d’autres (beaucoup d’impressionnistes aussi).

Joseph Vernet
Joseph Vernet : port de mer



On a reproché à cette technique d’assombrir. On dit que la teinte "remonte ". Mais ce n’est pas aussi certain. Du moins, tout dépend de la manière. Aujourd'hui, comme nous travaillons avec des fonds vinyliques qui ne "remontent " pas du tout, nous pouvons profiter de cet avantage qui consiste à colorer les fonds.


De la coloration des fonds

Il y a deux attitudes face aux fonds colorés. Soit on peint "avec ", soit on peint "contre ".

Avec le fond, comme ici dans cette autre oeuvre de Joseph Vernet, il s’agira d’une teinte moyenne pour peindre comme en camaïeu. Dans ce cas, les fonds vont dans le même sens que le reste du travail et, en quelques sortes, le sous-tendent.

Josephe Vernet

Contre le fond, il s’agit d’utiliser la couleur du fond comme tremplin pour sa complémentaire. Par exemple un fond ocre pour peindre la neige par-dessus : Brueghel, mais aussi Caillebotte (les toits de paris sous la neige) ou Monet.

Caillebotte : les toits de Paris sous la neige
Gustave Caillebotte : les toits de Paris sous la neige

Les fonds lisses ont de nombreux avantages : outre qu’ils n’usent pas les pinceaux – ou du moins qu’ils les usent utilement, en les effilant –, ils permettent les aplats, donnent de la précision, mais aussi, avec une pâte riche en résine, vont apporter une texture et une matière inégalable, des glacis profonds et mystérieux, mais aussi des accents tout à fait personnels, par des empâtements arrondis et émaillés, à la David.

Ces mêmes fonds colorés vont nous permettre d’entrer immédiatement " dans le ton " de notre sujet. On a toujours tendance a peindre trop coloré. Les anciens Maîtres travaillaient dans une remarquable économie de teintes. On choisira un ton moyen et sobre : ocre rouge atténué, beige tirant sur le vert, gris bleu. Tout va dépendre de ce qu’on veut faire : entrer dans le ton ou lutter contre.

Ce fond étant déterminé, on peut passer à l’ébauche.

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