AVANT-PROPOS
Le
présent opuscule tend à définir ce que serait, adapté
à notre époque, le processus idéal pour aboutir à
une oeuvre de rendu réaliste telle que l’on pouvait en voir au
XVIe et XVIIe siècle, chez Vermeer (1620-1675),
Frans Hals, Van Dyck, ou Pieter de Hooch, dans la plus pure tradition
figurative. Sans toutefois s'illusionner : les conditions actuelles ne premettent guère de se mesurer aux anciens, ni dans l'esprit ni dans la lettre.

Pieter
de Hooch "Près de l'armoire à linge"(1663)
Huile sur toile 72x77,5cm
Le
désir qui soutient le peintre est de vouloir reproduire, dans un premier temps et le
plus fidèlement possible, ce qu’il voit et qu'il nomme "la réalité". De tous temps, les
peintres ont essayé de se mesurer à la réalité. Mais Comme ils n’y parviennent pas,
la déformation devient un agrément, la marque d'une "personnalité "
ou un "style ". Ce style peut s'étendre a une école, à
une collectivité et a une époque, devenir la marque d'une civilisation et faire
l'objet d'une tradition. Ainsi pour l'Art Aztèque, égyptien,
grec, chinois, hindou, africain, qui sont reconnaissables pour autant que chaque oeuvre participe des mêmes standards et des mêmes critères.
Exemples de différentes stylisations dans la même catégorie
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Égypte
-3000 -1320 Av.J.C. |
Iran 1000-305 Av.J.C. |
Grèce
431- 540 Av.J.C. |
Pompéi
65 Ap.J.C. |
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Fayoum
100-300 Ap.J.C. |
.France
780 Ap.J.C |
Albrecht
Durer 1471-1528 |
Pierre-louis
Bouvier (1801) |
Dans la plupart des
civilisations, l''emprise de la tradition religieuse n'a pratiquement pas permis
d'évolution dans la représentation de cette réalité consensuelle. L'Art égyptien, entièrement religieux, a subi
des modifications de styles au long des trois millénaires de son empire mais n'est sorti de son carcan qu'avec la
fin de sa civilisation et l'invasion grecque (l'influence grecque est très
visible dans les magnifiques oeuvres du Fayoum). Grecs et Égyptiens ont
ensuite été fagocités par les Romains. Puis tout
s'est effondré. L'empire a disparu, avec son savoir-faire et son
style.
Après la chute de l'empire romain, en 476 après J.C, l'occident
ravagé par les invasions se retrouve face au vide pictural et doit se construire. L'essor du christianisme est un
puissant moteur. Vers l'an 600, tandis que le déclin des centres
artistiques méditerranéens s'accentue, on voit s'affirmer
les ateliers monastiques du nord de l'Europe : l'Irlande en 690, l'Angleterre
et l'allemagne en 781. Plusieurs écoles viennent d'Italie, d'autres
de Novgorod ou Kiev (An 1000).
A partir de 1200, l'influence byzantine place au premier plan une iconographie
qui perdure encore chez les chrétiens orthodoxes et va se répandre
partout, avec assez peu de variantes.
Duccio di Buoninsegna : Vierge à l'enfant, vers
1283
Traversant l'art Roman, puis le Gothique, ce style
iconographique (dont la forme ne peut évoluer puisque fondée
sur la fidélité) perdure jusqu'au XVe siècle et ne
cède qu'avec la Renaissance et l'invention des lois de la perspective.
(La représentation de la réalité au moyen de la géométrie).
Image
d'une oeuvre hindoue, Islamique et chinoise, pour illustrer l'absence
de perspective
Le
véritable moteur de l'évolution picturale tient en trois temps. Le premier tient dans l'invention des lois de la perspective, le second dans l'utilisation de l'optique et le troisième la "démocratisation" progressive, c'est à dire
l'accès à l'Art par les couches profanes.
En effet, tant
que la représentation picturale est soumise au pouvoir religieux,
elle se doit d'être conforme aux textes auxquels elle se réfère,
au culte qu'elle professe. Ne pas transmettre avec exactitude est considéré
comme un crime. Toute fantaisie, tout apport personnel est une déviation.
Il faut être impersonnel. Cependant, en plein coeur du quinzième siècle, la camera obscura se répand sous le sceau du secret et la représentation de la réalité bascule totalement. (Lire l'indispensable ouvrage de David Hockney) A partir de la Renaissance, non
seulement les prélats et les princes auront leur portrait, mais
aussi les gens de cour, les notables, les courtisanes...et dès
lors l'invention, le style personnel, l'audace pourront s'affirmer. Avec
modération, au début. Puis, avec la propagation
de la peinture à l'huile le champ d'exploration ne cessera
de s'élargir avec son rythme particulier : une manière
devient un savoir-faire, qui devient un style, puis une tradition académique, renversée par une nouvelle manière,
qui devient une mode, une école, une tradition académique...et
ainsi de suite. Il y a autant de technique que de peintres, chacun voulant affirmer son mode.
Peu
à peu, la peinture se détachant de la religion devient profane
pour arriver - non sans grincements de dents - au naturalisme du XVIIe
siècle, au mondanisme du XVIIIe et au moralisme du XIXe. Mais la
véritable rupture vient avec les Impressionnistes, qui s'émancipent
de la représentation littéraire ou sociale pour se préoccuper de la lumière. A partir d'eux, toute
recherche picturale devient possible.
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Afin
de bien nous comprendre nous allons établir la distinction
entre " réalisme ", " rendu réaliste "et
" hyperréalisme ".
Le réalisme est généralement
entendu du point de vue social : cela va de Brueghel à Toulouse-Lautrec en passant par Le Nain, avec scènes de genre, descriptions
sociales, etc. Bien entendu, c’est nous qui, au XXe siècle classons
ainsi les œuvres. Avant, on ne se souciait pas de la différence,
dans la mesure ou le "rendu réaliste " était
seul sur le terrain, l’abstrait n’existant pas. Le rendu réaliste,
(la fameuse peinture "léchée" dont certains parlent avec
mépris aujourd'hui) qu’il serve le réalisme social, le littéraire,
le religieux ou le pur décoratif a été la seule et
unique conception, même stylisée, de l’art jusqu’au début
du XXe siècle. On se souviendra donc que le réalisme est
entendu dans un sens social (comme au cinéma) et désigne l’œuvre qui dépeint une réalité sociale quelle qu’elle soit, par opposition à l’allégorie littéraire, religieuse ou
poétique.
Toutes ces catégories étant exécutées avec un rendu
réaliste.

Peinture réaliste : Louis le Nain (1593-1648) La
forge. Musée du Louvre.
L’hyperréalisme, lui, découle d’une
conception moderne de la réalité d’après le cubisme,
le déstructuralisme et l’abstrait. Et l’on peut dire : en
réaction contre l’hégémonie de l’abstraction qui
a régné dans les années 30 et règne encore
aujourd'hui chez les marchands.
Apparu dès 1945 aux États-Unis, l’hyperréalisme s’est
développé jusque dans les années 1980. Il s’agit
d’un art conceptuel qui vise à l’objectivité, avec
le souci de l’objectivité, et donc veut évacuer tout acte
émotif, instinctif : il s’agit de ne pas projeter sur la toile
sa conception sentimentale, mais une image raisonnée, objective
et crue.

Danièle de Courval :
"D'ombre et de lumière" 1985.
Il s’agit d’une photo. C’est le propos hyperréaliste : faire
une photo "à la main ", "plus vraie que vraie ",
hallucinante. Le propos se distingue du trompe-l’œil, dont le dessein
est d’abuser le spectateur en le surprenant, et ainsi provoquer une méprise.
L’hyperréalisme avoue la photographie et sa place dans le monde
contemporain puis se mesure avec elle, comme un témoignage volontairement
rigoureux.

Don Eddy
: Wolkswagen. 1971
En
résumé le mot "réalisme" détermine
une réalité sociale (tout comme la "chanteuse réaliste "
des années trente). Le rendu réaliste est celui qui,
de tous temps a prévalu, y compris lorsqu’il s’agit d’une stylisation,
comme dans l’Égypte ancienne ou l’art japonais traditionnel. L’hyperréalisme surenchérit sur le rendu réaliste et rivalise avec la photographie.
La
peinture telle que nous la connaissons aujourd'hui découle d’une
hyper-personnalisation de l’acte de peindre : la manière de
peindre et la personnalité de l'artiste compte plus que le sujet
peint (quand ce n'est pas uniquement sa signature!). On peut considérer
que ce renversement de tendance, assez long, commence avec la Renaissance,
c'est à dire avec l'ouverture d'un art d'abord sacré qui en se désacralisant va vers la petite noblesse puis vers
la bourgeoisie. L'aventure se poursuit aujourd'hui avec la nécéssité des "Marques" commerciales. On ne porte plus une montre, mais une "Bretling", on n'achète plus une peinture mais un "Picasso" ou un "Buffet'.

François 1er peint pas Clouet
Le figuratif englobe tout ce qui ressemble
à quelque chose de connu, quel que soit le style, par opposition à l’abstrait, qui est sensé ne ressembler à rien de connu.
Bien entendu, nous ne devons être contre aucun style en particulier,
ce serait s’appauvrir. Tout se révèle intéressant.
Mais puisque nous sommes concernés par le figuratif. Nous allons parler de sa technique,
avec, en vue, un rendu réaliste.
La technique idéale du procédé à l’huile pour
un rendu réaliste a très bien été définie
par les anciens. Ils l’ont assez prouvé. Mais il s’agit d’un véritable
labyrinthe technique dans lequel il est facile de se perdre. "...Chaque Maître
est un chef d'entreprise et possède ses recettes, ses "trucs ",
car il s’agit d’une véritable "cuisine ",
avec secrets de fabrication et dosages. Les enjeux de survie sont
énormes pour les artistes. Ils sont aussi des artisans.
Ils n'ont aucun autre choix que de se trouver sous la protection du
Prince, du prélat ou des notables. La concurrence est
d'autant plus impitoyable qu'elle est serrée. Par conséquent, les secrets sont
bien gardés." (Lire à ce sujet les vies de Léonard de Vinci, Raphael ou Michel-Ange).
Les choses ont changé, mais il demeure, sinon
impossible en tous cas très difficile, de suivre ces techniques.
On imagine mal broyer ses couleurs soi-même,
cuire ses huiles, dissoudre le copal, et fabriquer ses pinceaux !
La méthode mise au point ici tient de la tradition, mais s’inspire
largement des possibilités actuelles, inévitables. Ce n’est pas la peine de
gémir sur le passé. Voyons ce que nous pouvons faire - le
mieux possible - avec ce que nous avons devant le nez. Tout en tentant
de conserver l’esprit. C’est à dire : l’amour du métier.
D’autre part, et quoi que nous visions à un résultat professionnel,
nous ne pouvons prétendre à des conditions de travail telles.
Nous ne disposons, dans le meilleur des cas, que de neuf heures par semaine
(pour ceux qui viennent à trois séances), et pour la plupart
seulement trois heures, ce qui est un strict minimum. Il faudra donc adapter
notre technique à ces contraintes.

Annie Toussaint. Un travail parfaitement traditionnel, de haute technicité. 2004
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