LES JARDINS TIVOLI


Ce que ça aurait pu être.

Avant que la gare Saint-Lazare, premièrement dite : "de l'Ouest", ne soit construite en 1836, il y a depuis plus d'un siècle sur cet emplacement une succession de jardins situés sur un quadrilatère délimité, à l'ouest par la rue du Rocher qui aboutit à la barrière Mouceau (la place de Villiers actuelle), à l'est par la rue de Clichy jusqu'à la place du même nom.
Les eaux thermales sont dans la rue Saint-Lazare et, la rue de Rome n'existant pas encore, il y a là, au nord, une vaste friche dont la partie située à l'est, aménagée en jardins, abrite d'abord la Folie-Boutin.
L'entrée se trouve du n° 66 au n° 110 de la rue Saint Lazare actuelle.

En 1766 (Louis XV a alors 56 ans), l'un des fils du riche financier Boutin, fermier général (équivalent de nos receveurs fiscaux), fait édifier plusieurs pavillons, dont le principal au n°102 de la rue Saint-Lazare, un autre au n°27 de la rue de Clichy, sont placés dans un parc de huit hectares, avec des fausses ruines, des rochers et des boulingrins, et lui donne le nom de "Tivoli", en hommage aux jardins romains du même nom.
Cet ensemble comprendrait, aujourd'hui, un rectangle délimité par la rue d'Amsterdam, Saint-Lazare, Clichy et d'Athènes ; une des entrées se trouve entre les n° 76 et 78 de la rue Saint-Lazare.
"La Folie Boutin", sous l'impulsion de son créateur Simon-Gabriel, devient vite célèbre pour ses jardins magnifiques ornés de plantes rares et par ses divertissements. Dès 1771, tout Paris (ainsi que la cour de Louis XV) ne parle plus que de cette fabuleuse juxtaposition de jardins "anglais"," italiens" et "hollandais" agrémentés de jeux d'eau, ainsi qu'un jardin "utile" possedant ménagerie, vacherie, écuries, basse-cour, serres chaudes et froides, pépinière, verger...
Pendant plus de vingt ans elle est librement ouverte, mais payante, aux parisiens les jeudis, dimanches et jours de fête.
Le 20 juin 1791, Marie-Antoinette s'y promène ostensiblement l'après-midi du jour où la famille royale s'enfuit des Tuileries. (La calèche Royale attend rue de Clichy, cachée près de la prison pour dettes). Puis la Terreur commence. Simon-Gabriel Boutin commet l'erreur de se rendre à Bath à l'automne 1793, pour une cure thermale. Il est désigné comme émigré et décapité le 18 juillet 1794 pour cause de richesse ostentatoire.
Sa Folie est estimée à 216 000 F et placée sous séquestre.

En 1795, deux ans après la mort de Louis XVI, la Folie-Boutin ouvre à nouveau et prend définitivement le nom de Tivoli.
Le Tivoli, c'est l'arrière-grand-père des parcs d'attractions : une énormité de huit hectares dans laquelle les forains ruinés par l'abolition des privilèges de la nuit du 4 août viennent se réfugier, appelés par Gérard Desrivières, député à la Convention, le nouveau locataire du lieu. Avec Claude Ruggierri, (propriétaire des jardins du même nom, situés sur l'emplacement de la place Saint Georges actuelle) concepteur et fournisseur de feux d'artifice, il organise des fêtes insensées, accueille les Muscadins, les Incroyables et les Merveilleuses, ancêtres de nos drag-Queen, qui mettent le lieu à la mode. Comme on y prévoit les jours de pluie, on veille à construire quelques lieux couverts. On danse, on boit, on y joue au jeu de bague, on y applaudit les comédiens et les danseuses sur un théâtre de verdure, on y fait des rencontres, consommées sur place ou à emporter ..!


Les emplacements des trois Tivoli

"..Les français, à la suite de l'affreuse Terreur ont dû trouver le régime constitutionnel un véritable paradis (...) Aussi les amours et les plaisirs, qui s'étaient envolés vers d'autres climats, sont-ils revenus en foule dans Paris, dès qu'ils ont cru y entrevoir l'aurore de la liberté. Les femmes, qui dansent aussi facilement qu'elles pleurent (sic) ont sèché leurs larmes; et de nombreux orchestres se sont levés de toutes parts."
Ainsi s'exprime Grimod de la Reynière.

Mais qu'est-ce qu'un incroyable, au fait?

Un Incroyable se doit de porter un immense foulard-cravatte noué autour du cou jusqu'à masquer la bouche. Sa redingote, cintrée à la taille est très large à partir des hanches, et laisse s'avachir un énorme col dépassant largement les épaules, par-dessus lequel vient se rabattre celui du gilet, généralement de soie imprimée de couleurs vives. On porte une culotte très moulante, à braguette fermée sur le côté gauche, serrée aux genoux par des rubans flottants de pompons ou de franges. Le bicorne est de mise, sur des cheveux longs et laissés au vent. La chaussure est menue, très pointue, avec un noeud de satin assorti. De nombreux accessoires terminent la tenue : binocles, canne à pommeau, etc...Quant à la Merveilleuse, la femelle de l'Incroyable, tous les coups sont permis pour peu que la taille soit haute (sous les seins) : grand châle de soie sauvage brodée, jupe laissant apparaître le pied et le chapeau qui ressemble, en plus gros, aux casquettes de fan footballeurs dont la visière serait démesurée. Jusqu'à soixante centimètres de long!


Bref, le soir, sous la lueur de milliers de lampes à huile colorées qui illuminent le parc, il s'en passe, dans les fourrés! Il s'agit d'un parc d'agrément pour adultes. A cette époque, les enfants ne sont pas encore ciblés par les industriels, ils se contentent de bouts de bois et de poupées. Il ne viendrait jamais à l'idée de quiconque d'emmener un bambin dans un lieu pareil !
Le Tivoli, c'est le jardin où l'on va, le jardin où l'on dit avoir été, le jardin où il faut être. Le "must " de la fin du 18e siècle à Paris où 10 000 personnes se pressent chaque dimanche, dans la journée... et se serrent de très près le soir ! Autre chose que le jardin des Tuileries !

Les héritiers Boutin estimant que Tivoli doit leur être rendu ont finalement gain de cause le 4 octobre 1797. Ils en confient l'exploitation à l'entrepreneur Bermond qui va s'employer à redresser le domaine ravagé par Desrivières, ce qui n'est pas chose facile. Celui-ci, en effet, s'est révélé quelque peu laxiste dans sa gestion et l'affaire est grevée de dettes.
Bermond parvient néanmoins à remonter le courrant et, le 10 Floréal de l'an VI ( le 31 avril 1798), Tivoli rouvre ses portes. Le printemps et l'été 1798 va voir le sommet de l'entreprise. Cela marche si bien que de nouveaux aménagements vont pouvoir être construits : une nouvelle entrée dotée d'un perron, une nouvelle allée sablée au lieu d'être pavée ; la rivière coule à plein régime, le parc de chaises est doublé, des milliers de lampions et des cabinets de verdure dessinent des contours mystérieux, les allées en profondeur sont bordées de pots à feu quand on veut s'écarter discrètement...Mais surtout, on peut voir dans le lieu les plus belles femmes de Paris : l'une en tunique de gaze transparente, l'autre la tête ceinte d'un foulard créole pour tout costume !

Dès cette époque des Tivoli, toutes les attractions sont inventées. Les panoramas, les marionnettes et la lanterne magique, les manèges, les montagnes Russes : la glace est remplacée par du savon, ça glisse presque aussi bien ! Des médecins les recommandent aux femmes parce que la "ramasse " aide les organes génitaux à tenir en place ! On y atteint des vitesses effarantes, il y a des blessés et même des morts.

En 1799, on fonde "Les eaux thermales et minérales de Tivoli", de manières a ajouter aux ébats buccoliques quelques fantaisies nautiques. On y débite même de l'eau de seltz. Ce sauna moderne fait des ravages. Cette extension aquatique, qui va tout de même durer 71 ans, fermera en 1870, lors du siège de Paris.

Vers 1804, l'époque n'etant plus la même, les affaires déclinent. Cela devient plus sage et un peu plus familial, même si on s'y amuse encore. Napoléon choisit Tivoli pour y offrir un banquet à sa Garde impériale, puis, du 23 septembre au 3 octobre 1808, y fait camper les troupes devant rejoindre les armées d'Espagne. Le piétinement des 2000 hommes dans les plates-bandes est un vrai désastre et malgré le dédommagement de la ville, on doit fermer le 30 août 1810...

Pour recommencer en face!
Depuis 1805, c'est le musicien Baneux qui dirrige Tivoli. Contraint de louer le pavillon principal, il va s'installer sur un emplacement situé du n°16 au n° 38 de la rue de Clichy. C'est sur ce terrain que le maréchal duc de Richelieu fait construire une folie, en 1730. Cette Folie-Richelieu s'étend avec ses jardins jusqu'à la rue Blanche.
Le lieu connait le commencement du règne de Louis XV, qui n'est pas triste non plus. Il se tient là des réunions plutôt salées, on dîne nu, servis par des serviteurs nus, dans un pavillon isolé au milieu d'un parc touffu ; Sa Majesté, dès qu'elle est au fait de ces choses vient y souper avec quelques conquètes, puis avec Madame de Pompadour. La licence est a son comble, les orgies somptueuses. Cette folie appartient de 1779 à 1805, à Claude Rigoley, Baron d'Ogny et, en 1805, au général de Caulaincourt. L'église de la Trinité, le Casino de Paris, construit en 1890, l'Apollo (démoli en 1959) et le Théâtre de Paris sont construits sur l'emplacement. Elle devient, à partir de 1810, le "second Tivoli".

 

Inauguré le 30 avril 1810, l'établissement est plus petit et provisoire. On le fait durer généralement, à tort, jusqu'en 1826. En réalité Baneux réintègre le "Grand Tivoli" dès 1812. Tivoli-Richelieu est tout aussi amusant que le premier : grande roue, tobogans, montagnes russes, pantomimes, spectacIes et illuminations, labyrinthes coquins. Mais une succession d'essais malheureux lui sera fatale. On réintègre Tivoli-Boutin en 1812 pour un nouveau succès, sous la direction du fils Baneux, puis, pour huit ans de Houy. C'est lui qui fera installer les "montagnes aeriennes" et produire le Cerf Coco, cerf acrobate qui sait marcher sur un fil.


Le Grand Tivoli disparaît en 1825, après un grand "bouquet" final : une soirée donnée pour le sacre de Charles X, le 7 juin. Le 2 fevrier 1826, les héritiers Boutin vendent à Hagermann et Mignon, qui font lotir le quartier de l'Europe.

Et voici venue la fin du premier vrai parc d'attractions public du monde. Il n'en reste rien, pas même le nom du passage qui y conduisait, débaptisé récemment.


Le passage Tivoli en 1900. Aujourd'hui dit "de Budapest"

Mais, si le lieu disparait, le nom reste, pour tous les parisiens, et pour bon nombre de provinciaux et d'étrangers, synonyme d'émerveillement, d'attractions et de loisir. Le chemin de la rue de Clichy leur est tellement familier, qu'il ne leur viendrait pas à l'idée d'y associer le parc Monceau ou Bagatelle. C'est le "physicien" belge Robertson, connu pour ses ascensions en ballon qui ouvre un troisième Tivoli au n°88 de la même rue et qui va durer jusqu'en 1842. L'emplacement est celui d'une propriété de campagne de 10 hectares qui appartient, en 1732, au Fermier-Général Le Riche de la Popelinière. En 1747 il la vend à un autre fermier général, Gaillard de la Bouëxière qui y construit une Folie. C'est un véritable petit Trianon qui remplit, avec son parc, ses jardins, ses allées et ses charmilles, tout l'espace compris entre les rues actuelles du Cardinal Mercier, Blanche, de Douai, le boulevard et la rue de Clichy.


Gaillard lègue la chose qui, au travers de différents héritages est louée à une grande Merveilleuse, Mme Hamelin, qui, brune déesse de la valse, tente d'y lancer la mode de se promener nue sous une gaze transparente. Finalement, elle échoit aux héritiers Greffhule qui, précisément, ne savent qu'en faire! L'inauguration a lieu le 14 mai 1826 et la Folie devient le Nouveau Tivoli. Robertson, savant distingué perfectionne un peu plus tard le parachute, le miroir d'Archimède, et fait d'intéressant travaux aérostatiques. Malgré ses efforts, le parc n'aura jamais le lustre des jardins Boutin. Cela fonctionne une vingtaine d'années, puis encore une fois, le public finit par se lasser. Une dernière grande fête y est donnée, le 3 juin 1840, et le terrain est vendu en lotissement, ce qui va donner les rues Ballu, de Bruxelles, de Calais, Vintimille, de Douai et la place Adolphe-Max, dont le square Berlioz se trouve sur l'emplacement d'une pièce d'eau de la Folie. Les arbres autour de la place sont-ils ceux du Tivoli?

Pour plus d'informations, lire : "Folies, Tivolis et attractions", "La nouvelle Athènes" Délégation à l'Action Artistique de la Ville de Paris

Retour au sommaire