Gen-Paul

 

Maat

 

 

Gen-paul

 

Rue des abbesses

Autoportrait

Buveur

Café

Cavalier

celine

RUE LEPIC
"Gen Paul et Pomme"


d'après les mémoires de Guy Mairesse de Montfaucon

Le boulanger

Samedi 13 janvier 2007, par l'entremise de Jean-Pierre Ducatez , photothèque vivante du quartier, j'ai pu rencontrer Guy Mairesse de Montfaucon, neveu de la magnifique "Pomme", animatrice Montmartroise, et biographe officiel de Gen - Paul.
Inutile de mentir : avant cette rencontre, j'ignorais tout du fameux Eugène Paul, dit Gen-Paul et pire encore : ce n'est pas du tout mon genre. Mais il se trouve que depuis quelques années, au fil des rencontres, j'ai appris à me bousculer et à ouvrir ma lorgnette. Pas la peine de se la jouer. On se préfère toujours. Quand on en aime un autre, c'est parce qu'il fait comme soi (et on l'appelle "frère"), ou parce qu'on aimerait faire comme lui. 'et on l'appelle "papa".
Bref. C'est toute une histoire. Et comme c'est à moi qu'elle arrive, je vais la raconter de mon point de vue.
Donc,s'il vous plaît : flash back.


Guy, neveu de Pomme

Au départ, il n'était pas chaud, le neveu de Pomme. Il est vrai qu'il est difficile, parfois, de retourner sur certains lieux. Non qu'ils transportent de mauvais souvenirs. Ils peuvent signaler tout simplement une absence. Souligner le temps qui passe. C'est souvent injugeable. La mémoire est ainsi faite que le meilleur surnage et s'impose. Sauf pour certains vengeurs, qui ne retiennent que le pire. Guy n'est pas de cette espèce : il a tout vécu dans cet endroit. Il y habitait, au premier étage. Les patrons actuels aussi. Ils se promettent de se le faire visiter.
J'ignore pourquoi. Il se penche au dessus de la table et murmure :
- "On ne s'interroge jamais sur ses préférences. On les accepte. On préfère le Sud au Nord, les tomates aux concombres, et c'est comme ça. Personnellement, je trouve que ce n'est pas si normal. Si nous étions aussi vides que ça à la naissance, nous n'aurions aucune préférence à faire valoir. Le vide n'a pas d'avis. Bien sûr, il y a l'éducation, mais n'importe quelle mère honnète te dira que c'est déjà joué avant. Chacun des frères et soeurs a eu la même éducation et pourtant aucun n'est pareil. Et je l'ai vu. Je veux dire que le mystère de nos vies, la raison de notre existence, est dans nos préférences. Ce sont elles qui guident nos choix et donc nos actes. Et le poids de ces préférences est celui d'une plume : il ne peut compter qu'au moment précis d'un équilibre parfait, qui est aussi le moment le plus fragile et va faire pencher la balance par un souffle imperceptible qu'on confondrait aisément avec le hasard."

Comme je suis d'accord. Je ne peux que hocher la tête :
- "La Maat des égyptiens ?"

Mais puisqu'on parle de son neveu, il faut parler de la tante : La fameuse "Pomme".

Pomme
"L'amour, c'est comme la cuisine. Il n'y a que la volaille qui change."

Eugénie-Jeanne de Montfaucon naît en 1897. Elle est la 6e progéniture des 7 autres de Philippe de Montfaucon, issu d'une famille Cévenole. A vingt sept ans, sortie de l'École Normale, armée de son diplôme d'institutrice, Eugénie "monte" à Paris et ( à cause de Maat ?) change de cap brutalement : elle sera artiste dramatique. Très belle fille, bien plantée, nantie d'un joli brin de voix, elle prend le pseudonyme de Janie Pomme et vient à Montmartre pour chanter les poètes, avec un certain succès...et quelques excès. Elle y rencontre Gen-Paul, un jeune peintre famélique.
Elle habite alors rue Ravignan et se produit dans divers cabarets de la Butte. En 1937, en grimpant la rue Lepic pour se rendre Place du Tertre, elle remarque un troquet au 86bis, au coin de la rue Tholozé. C'est une sorte d'épicerie-buvette qui a connu son heure de gloire au moment des travaux des fondations du Sacré-Coeur, en 1873, avec les ouvriers italiens.

L'immeuble lui-même a été construit en 1860 et paraît solide ( à Montmartre, c'est important. Le sous-sol est un vrai gruyère). Eugénie-Jeanne devenue Janie Pomme demande à sa soeur cadette Berthe-Marie, qui jouit d'une belle situation à Nice, de lui prèter l'argent. Ce qui est fait. Malheureusement, elle en perd la moitié en jouant à la belotte trois jours plus tard ce qui l'oblige à demander le complément à sa mère. Après quelques aménagements, le restaurant peut ouvrir enfin. C'est alors que Gen-Paul entre en scène.

Gen-Paul

Eugène-Paul, dit Gen-Paul, naît le 2 juillet 1895 à Saint-Maur-des-Fossés à six heures du matin de Joséphine Recourcé, brodeuse et de père inconnu. En fait, ses parents se marient le 5 juin 1897 et le légitiment le 19 décembre 1902. Il a sept ans. Il dessine très tôt et, à la mort de son père en 1910 on le met apprenti tapissier.
Ayant devancé l'appel, il s'engage dans les Chasseurs. En 1914, blessé au pied, on l'ampute de la jambe droite. De retour à Montmartre en 1916, il se marie et s'installe au 2, impasse Girardon dans un appartement qu'il habitera jusqu'à sa mort.

"..Pour survivre il fait toutes sortes de petits boulots et se mèt à peindre des fleurs, des portraits et le Moulin de la Galette, en face de chez lui. En 1917, tout en vendant ses œuvres, il se lie avec Emile Boyer et Frank-Will, ils font de la musique et mènent joyeuse vie avec l’argent de la manche. Juan Gris au Bateau - Lavoir lui offre pinceaux et vieux tubes de couleurs. Mathot lui demande des œuvres à la manière de Monticelli, Daumier, Lebourg... Eugène Delâtre l’initie à la gravure, il vend des vues de la Butte à l’aquatinte aux brocanteurs. A partir de 1920 Gen Paul entame une évolution, ses paysages urbains sont mieux construits ; il entre au Salon d’Automne et commence une longue série de voyages en France; à Marseille Leprin le guide dans les vieux quartiers et dans les maisons de tolérance. 1921-1922, Gen Paul découvre le pays basque espagnol ; Chalom s’intéresse à ses tableaux. De 1923 datent ses premiers portraits, surtout des clowns, ainsi que les premières vues de Montfort-l’Amaury, l’année suivante Gen Paul fait la connaissance de musiciens, en particulier du violoniste Noceti ; il voyage à Bilbao, à Motrico, expose à Anvers et à Londres.

A partir de 1924, Gen Paul amorce une évolution solitaire, il commence à s’éloigner de la peinture de ses amis Utrillo, Leprin, Génin, Quizet et Frank-Will, chahute les sujets et en vient à créer une forme personnelle d’expressionnisme du mouvement ; il trouve ses sources au Musée du Prado, auprès du Greco, de Vélasquez et surtout de Goya. Les visages et les personnages prennent de plus en plus d’importance. Jusqu’en septembre 1930, il voyage, travaille sans arrêt, saisi d’une sorte de frénésie créatrice faisant dire par Me Maurice Rheims “qu’il a peint quelques-uns des meilleurs tableaux du siècle” durant ces cinq années. La galerie Bing, en 1928, l’expose avec Picasso, Rouault, Braque, et Soutine qu’il ne connaissait pas encore. Bing dans un long texte consacré à Gen Paul le met au même niveau que ceux-ci. Il peint des musiciens que l’on sent jouer, des portraits impressionnants, ainsi que des paysages basques, des vues de Montmartre et de quelques villes de la banlieue de Paris. Gen Paul signe un contrat avec Bernheim, dénoncé après le krach de 1929.
Epuisé par une vie trop intense, miné par l’alcool et par une affection contractée à Alger, Gen Paul s’écroule à son passage à Madrid, au troisième trimestre 1930, et manque mourir. Après une cure, il revient à Paris et se remet lentement. Commence alors la troisième période de son œuvre, entre 1930 et 1945, période que certains ont qualifiée de célinienne en raison de son amitié avec Céline à partir de 1932, et non en raison d’une quelconque influence de l’écrivain sur son œuvre. Il peint assez peu à l’huile, les couleurs sont plus claires et le trait du dessin plus apparent. Par contre durant ce temps ses dessins et ses gouaches sont de grande qualité, il élargit encore le choix des sujets traités. Dans son atelier se tient une sorte de cénacle qu’il préside avec Céline et Marcel Aymé ; il est fréquenté par des comédiens, des musiciens, des médecins, des écrivains et des personnages pittoresques. Parmi les habitués Carco, Jouhandeau, Fernand Ledoux, Berthe Bovy, les clowns Rhum et Porto, Dorival, et René Fauchois. En 1934, le 20 octobre, il est nommé par décret chevalier de la Légion d’honneur.
Outre ses œuvres sur toile ou sur papier, Gen Paul réalise une fresque de 100 personnages, pour le Palais du Vin à l’Exposition Internationale de 1937, dessine des lithographies, se brouille avec Céline en 1937, puis se réconcilie avec lui.
" (extrait de la biographie d'André Roussard http://www.roussard.com)

Pomme
1946 : la chignolle à Gégène.

Le soir de l'ouverture du restaurant "Chez Pomme", au printemps 38, Gen-Paul propose à Eugénie-Jeanne de "lui bouffer le portrait".
Ce presque complot consiste à diner là tous les soirs jusqu'à ce que le portrait de l'hôtesse soit terminé. On se doute que la chose a tout intérèt à trainer en longueur, mais la nouvelle propriétaire n'y trouve rien à redire : Gen-Paul connaît tout le monde à Montmarte, tout le monde connaît Pomme et chacun sait qu'on y chante, qu'on y déguste le plat du jour et qu'on y boit à ravir. Gen-Paul s'assoit à la table 2, près de la baie qui donne sur l'escalier de la rue Tholosé, qu'on appelle "Le mirador", là où il peut étaler sa jambe de bois et critique tout ce qui bouge, avec force humour et son inimitable accent Montmartrois.
Malheureusement, la mort de sa femme en 1939, après 23 ans de vie commune, la guerre toute proche, le manque d’amateurs pour ses tableaux le démoralisent. Il part sur la Côte d’Azur à Sanary rejoindre les peintres, puis à Marseille.
Pour Pomme, c'est la même histoire. En aout 39, il faut déchanter, fermer boutique et fuir Paris comme les autres.

Guy et Jean-Pierre
Guy Mairesse de Montfaucon et Jean-Pierre Ducatez ce 13 janvier 2007.

Mais dès septembre 1940, Pomme est de retour, accompagnée de son neveu Guy. Elle y retrouve Gen-Paul, lui aussi revenu, avec sa "bignole", Amélie Aucompte, qu'on va appeler Mémé. C'est elle qui va prendre en main la cuisine pour les amis restés dans la capitale.

Denoël confie à Gen-Paul l’illustration du “Voyage au bout de la nuit”et de “Mort à crédit”, en 1942.

Gilles, le nouveau propriétaire
Gilles, le nouveau propriétaire

Selon l'intéressante biographie de Roussard "...La quatrième période commence en 1945, on la qualifie de calligraphique. Gen Paul renoue avec les milieux hippiques qu’il peint à l’huile et à la gouache. Avec ses amis peintres, il crée, en 1946, une fanfare pour faire parler d’eux; dénommée “la Chignolle” elle comprend Agostini, Blanchard, Frank- Will, Marcel Aymé, entre autres. Il reprend les sujets qu’il a traités auparavant, dessine énormément. Les vues de la Butte et de Paris, les musiciens entre 1948 et 1958 sont de grande qualité. Il produit beaucoup et le succès est là, c’est devenu un monstre sacré, le témoin du Montmartre du début du siècle. Il se marie avec Gabrielle Abet en mai 1948, et divorce en 1951. Son fils naît en 1953, à Genève. Il expose à Paris (chez Drouant-David, 1952, catalogue préfacé par Francis Carco), à New York, à Genève (galerie Ferrèro), il voyage toujours, du moins jusqu’en 1966. A partir de 1964, il cesse de peindre à l’huile, se réfugie dans son appartement; c’est l’époque des portraits dit “de télévision”. Il continue de dessiner et de gouacher, réalise des lithographies..."

Charmante serveuse

Chaque soir, parfois dans l'après-midi, il vient s'installer au "mirador" et allonge sa jambe en bois sous la table n°2. Le portrait de Pomme trône au dessus du bar - alors situé à l'entrée - La femme n'a rien perdu de son énergie ni de sa bonne humeur. Elle a quarante-cinq ans, a beaucoup grossi, mais, comme Montmartre, elle paraît au dessus des événements.
Après la guerre, les amis reviennent, drainant un flot de célébrités et de personnages hauts en couleur, comme ce danseur, ancien partenaire de Mistinguett, Billy le Toc, qui a perdu une jambe à la guerre et redoutable avec son pilon; ou bien Clochette, boulimique d'amour et qui chante Bruant avec un air innocent. La veuve Rivière, brune rondouillarde qui, elle, chante Begaud. La foule se presse, le beaujolais coule à flots. On va de "chez Pomme" à "Ma cousine" ou "Chez Tonton", où l'on croise Lecomte, un peintre flamand sans le sou, qu'aucun alcool ne rebutte. Mais le pompon revient à Jean-Louis Wallace, inspecteur des impôts quoique poète barbu, planté sur le tabouret du bar, clamant :"Un trou du cul est un oeillet géant
qu'on ne peut voir qu'avec des gants", tandis que Victor, le pianiste, soutient la réunion.
Celle-ci se terminant tard, on remplit les hôtels situés à proximité et Clochette vient border son monde.

Le diner
Gilles de Beauregard, Jean-Pierre Ducatez, Georges Faget-Bénard et Guy Mairesse de Montfaucon

Dans le lieu, on peut voir Bourvil, Derain, Vlaminck, Jacques Brel et Charlie Chaplin, pour qui une table est réservée à l'année lorsqu'il est à Paris, et bien d'autres...
En 1947, Pomme doit être opérée. Son espérance de vie s'amenuise. Sur ses entrefaits, Maurice la quitte, son chien meurt. Elle se jette droit devant. Gen-Paul invente sa "Chignolle à Gégène", sorte de fanfare tonitruante, qu'elle accompagne braillant Couté, Caussimon et Bruant. Ils sont capables de toutes les excentricités devant les yeux effarés de Guy, son neveu, qui s'occupe de la caisse et voit le fond s'éparpiller.
Gen-Paul dit de lui "Ce mec, il se lave les mains dans la caisse de Pomme"
Mais l'affaire périclite. A la mort de Berthe-Marie, la soeur ainée de Pomme, plus personne ne peut soutenir le restaurant.
Eugénie-Jeanne de Montfaucon, dite "Janie Pomme" meurt peu après, en 1965.
Gen-Paul la suivra dix ans plus tard. Hospitalisé en 1975, il meurt d’un cancer à l’hôpital le 30 avril.

La salle aujourd'hui

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