Georges Faget-Bénard
Peintre graphiste
Nicole Vattier
Nicole Vattier

Vattier

Vattier Robert

Robert Vattier

Vattier

Robert

VATTIER-la-folie
eclairages

Avec Claudine, toute aventure devient une Odyssée, au minimum, Grecque.
Elle est dans l'absolue incapacité de composer avec le monde de l'économie et rapport "qualité-prix". C'est une passionnelle pour qui la passion est la seule réalité. Elle aurait pu créer un "Théâtre de la Lune" (pour plagier celui du soleil), mais comme l'aspect financier lui échappe totalement - et je pèse mes mots - il en reste une sorte de paquet d'énergie semblable à ces boules de feu qu'on peut voir pendant les orages, à la différence près que les boules de feu ne vous engueulent pas en passant.
J'ai dû vivre une dizaines d'aventures avec elle, dans des endroits invraisemblables, des conditions hallucinantes rassemblant toutes les raisons de ne pas le faire, mais je n'ai jamais regretté une demi seconde de cette folie qui, au passage, m'éloignait aussi de travailler pour de grands noms. Puisque je suis probablement comme elle : pas raisonnable du tout.

Cette fois, elle a décidé de monter Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo, dont elle a fait une adaptation, à Saint Vaury, dans la Creuse, avec les habitants du village. Nous avons deux mois. Comme elle veut que je compose la musique de scène, on a entassé l'ordinateur, le clavier, les synthétiseurs, la table de mixage et les haut-parleurs par dessus les trois chats et les deux chiens dont elle ne se sépare jamais, dans la wolkwagen.
-" Et on va habiter où ? "me risqué-je à demander.
Elle balaie mon doute d'un revers sur le volant, le regard scrutant le vol des oiseaux.
-" Ils sont fous, les oiseaux aujourd'hui " Puis, sans attendre de réponse, "Chez Henri, dans l'hôpital psychiatrique, on va être très bien, tu verras.."
J'apprends qu'elle a tracté avec la mairie un séjour modeste mais suffisant. Pour atténuer les frais le directeur de l'hôpital s'est proposé de nous héberger dans la garderie d'enfant, au milieu du jardin.
-" Tu comprends, ce sera super, on pourra manger à la cantine le midi et le soir on ira chez Henri. Il est sympa Henri."
Comme je ne réponds rien, n'ayant rien à répondre, elle me jette un oeil en coin.
-" ça va ? Tu vas pas me lâcher ?"
Un chat m'arrive sur les genoux, s'y arrondit.
-" On ne peut pas mieux rêver comme vacances. La Creuse... tu vois que je ne suis pas rancunier."
Elle rit:
-" On ira voir Simone."
Voilà neuf ans que je suis parti. Entre temps, nous nous sommes revus, expliqués et réconciliés. J'en ai terminé de la crise de culpabilité.
Claudine poursuit :
-" on lui apportera des huîtres. C'est ce qui lui manque le plus."

Comédienne puis adaptatrice de théâtre, Claudine est d'origine Belge par son grand'père De Brabander, banquier célèbre. Sa mère, Nicole Vattier, actrice de cinéma d'abord muet, puis parlant, est la soeur de Robert Vattier, le Monsieur Brun de la trilogie de Pagnol.

Nicole VattierRobert Vattier

Pratiquement élevée par sa grand'mère, qu'elle appelle "Tante Mémé", elle assiste aux frasques de son père, genre de danseur Mondain et aux allées et venues de sa mère, toujours fort occupée et que sa carrière envoie dans tous les coins de l'hexagone.
Claudine raconte son enfance avec passion, comme elle fait pour tout. Elle grimpe sur les chaises, saute au milieu des salons, occupe tout l'espace, mobilise l'attention. Elle joue tous les rôles, hommes, femmes, animaux. Elle fait le vent dans les arbres, la mer qui s'agite. On ne peut imaginer une seule seconde d'ennui avec le personnage, dont la vie est un véritable roman de cape et d'épées, d'amours masquées et de tous les sexes, mue par l'instinct et les passions.
Juste avant 1968, elle rencontre Simone Faget, également comédienne. Les deux femmes partent en tournée aux Antilles à l'issue de quoi elles décident de travailler ensemble à l'adaptation de plusieurs pièces argentines.
Lorsque je rencontre Simone, Claudine est au milieu du salon, jambes écartées dans ses jeans, en train de raconter la mort de Tante Mémé. Elle revit tout, explique, dévie un peu, saute dans les incidences, prend les invités à témoin, rebondit, clame et déclame...puis s'arrète brutalement. Surpris par le silence, chacun se regarde. Alors, se tournant vers Simone, qui n'a rien dit de la soirée :
-" Ha, toi, ça suffit !" hurle-t-elle.
Et comme on s'interroge, elle conclut :
-" Je sais ce qu'elle va dire...et je ne suis pas d'accord."

-" A quoi tu penses ?"
Je constate que j'ai les deux chats sur les genoux. Les deux chiennes, derrière, s'engueulent.
-" A toi. J'étais parti en arrière. La première fois que je t'ai vue."
-" Tu trouves que je suis dingue ?"
-" Non. Justement pas. Si j'étais un extra terrestre et que je veuille connaître la Terre, c'est toi que je suivrais."
-" Rassures-toi tu es un extra-terrestre.", rigole-t-elle

Nous sommes reçus par Josette, l'épouse d'Henri. C'est une jeune blonde un peu effarée, que j'impressionne beaucoup. Il est probable que Claudine à dû me vendre comme du Hédiard pour mieux imposer son projet. Je tente de la modérer dans son admiration, mais il faut déjà courir après les chats qui se sont évanouis dans la nature. J'habiterais dans le sous-sol, c'est dit. Il y a de la place pour mes machines, un lit-cage et une douche. Le rêve.

Quelques jours plus tard, les chats sont revenus et déposent sur mon lit tous leurs cadeaux : souris mortes, oiseaux étranglés. J'ai la cotte.
Les gens du village sont magnifiques, prêts à jouer le jeu, ayant déjà le trac d'avoir accepté. Claudine mène son monde à la baguette, mais avec considération. Il n'empèche qu'une semaine plus tard il faut faire face à deux suicides : un à l'entrée de l'hôpital, bordé d'un lac, l'autre en ville. La femme du Maire. Les langues en profitent pour commenter, mais aussi pour se délier. Toutes les versions circulent, mais aussi les angoisses personnelles. J'ai souvent remarqué qu'autour d'un suicide se crée une sorte de tourbillon aspirant, comme si l'acte était finalement, au centre de beaucoup de désirs refoulés.
Claudine en profite pour resserrer l'équipe.
-" On va gagner. Vous allez voir : on va gagner"

Le travail qu'elle fait, qu'elle continue de faire, à mon sens est essentiel. Elle va le faire là où personne ne le fait. Où personne ne va. Il est toujours bon d'arriver avec son spectacle tout fait, bien professionnel, pour ébahir la foule, mais c'est aussi mettre loin de lui toute la merveille, creuser un grand fossé entre le bon public passif dont la seule activité est d'applaudir, et la créativité, qui est un bien humain.
Claudine s'ingénie à donner les moyens à des gens ordinaires, à priori stériles ou non-doués, de se dépasser, d'aller tâter le terrain interdit. Monter sur scène, affronter les éclairages, oublier qu'on se déplaçait mal, qu'on bafouillait il y a quinze jours : montrer qu'on peut. Que chacun peut, avec un peu de patience et d'amour, qu'on peut (presque) tout faire.

Le spectacle à été donné les 15 et 16 juillet 1988, tout le village présent. Il a été une belle victoire.

Beaucoup de compliments sur la musique. Surtout sur le seul morceau que je n'ai pas composé.