Georges Faget-Bénard
Peintre graphiste

L'ATELIER DU PASSAGE

l'atelier du passage

J'ai remarqué que - en tous cas pour moi - chaque épisode important de l'existence à été précédé d'un évennement similaire mais non abouti. Je m'explique. Au printemps 95, je suis contacté par un prètre qui a vu mes oeuvres. Il voudrait que je le remplace. Non dans son activité de prètre on s'en doute, mais en qualité de professeur de peinture d'icones....à la prison de la Santé !!!! Assez estomaqué, je bredouille que je n'ai jamais peint d'icones mais que je pourrais éventuellement apprendre. On se donne rendez-vous. L'idée me parait faramineuse mais en tous cas amusante. Je pense, comme mes amis, que c'est là encore une histoire qui "n'arrive qu'à moi" !
Quelques jours plus tard, j'ai rendez-vous avec le directeur de la prison de la Santé ( enfin, je crois que c'est lui). Et me voilà embarqué dans les chicanes de tourniquets, fouilles, papiers, portes blindées, accompagné d'un garde jusqu'à un bureau dont la porte s'ouvre. Et me voilà assis face à un homme au demeurant charmant, qui demande, d'une voix douce : "est-ce que vous savez ce qu'est la prison ?".
Certes non. Je n'imagine même pas, j'avoue. Mais rien qu'à y penser, je me surprends déjà avec une lime planquée dans une brioche, incapable de résister à la détresse des détenus. L'obstacle n' est en aucun cas l' iconographie, fut elle Orthodoxe. L'homme, qui décidément doit lire en moi comme dans une carafe en cristal, hoche la tête. Vous pensez pouvoir être l'homme de cette situation ?
Absolument pas, dis-je.

Quelques mois plus tard, Simone Couderc, qui officie comme professeur de modelage, me demande si je serais interéssé par le fait de donner des cours de peinture. Déjà préparé à l'idée -pourvu que ce ne soit pas en prison - je réponds que oui. Elle me dit : et bien, viens tout de suite.

Je rencontre Florence Théard d'Esterle une demi heure plus tard. Le temps d'attrapper le 66 qui passe. Elle me parait incroyablement familière et distinguée. Elle a une allure superbe, sans artifice et sans sexe. Je veux dire sans séduction de mode femelle. A vrai dire, elle m'évoque irrésistiblement Claudine Vattier, qui fait immanquablement passer les chiens avant les gens et dont l'univers est un univers d'énergie passionnelle et instinctive bien plus proche des animaux que des humains, qui compliquent tout. Comme en plus il se trouve un scarabée égyptien sur son bureau, l'affaire est faite immédiatement.
Personnellement j'ai toujours été frappé de pouvoir vivre ce type de rapport. Je m'imaginais plutôt intellectuel, mais finalement ce n'est probablement pas vrai. ( D'ailleurs, je m'en fiche, c'est vivre qui importe)
Florence, tout comme Claudine, est un chef de meute. Pas même une femelle dominante. Elles n'ont rien de femelle ni de mâle. Ce sont des êtres bruts, hors sexe, qui vivent dans l'instant présent, dans l'action et dans la passion. Rien n'est réellement pensé, mais senti, au sens physique comme au sens figuré. Ce sont des êtres vivants, dont les règles, si on peut parler de rêgles, sont immédiates et territoriales. Mon chat n'habite pas chez moi : je suis le territoire du chat, sa possession et sa planete ( Et il est aussi la mienne). Il ne me respecte pas : il fait avec. Et il le fait avec une intelligence remarquable.

Florence m'a immédiatement calculé et moi de même. Intérets convergents. Bing.

Un animal s'en sort toujours tant qu'il reste dans son ordre instinctif. Un vrai animal ne peut pas faire autrement que d'y rester, mais un annhumain est tres fortement dérangé par la complexité humaine qui, de son point de vue, n'est pas logique. Tout ce que Florence regarde et considère lui appartient, fait partie d'elle et de son univers, tout comme un loup délimite son territoire en urinant dessus. Ce n'est pas péjoratif. C'est un fait.
J'ai connu des chats qui ne savent pas faire la différence entre un bout de jambon et la main qui la leur tend. Mais dès qu'il ont identifié cette différence - qu'il l'ont intégrée - alors, plus jamais ils ne vous mordront, puisqu'ils ne se mordent pas eux-mêmes. Par contre, comme il n'y a pas acces à la psychologie, l'idée que l'autre peut avoir des motifs différents n'apparait pas. La moindre divergence est sentie comme une trahison qui donne lieu a une parano.
"Si tu n'es pas avec moi, tu es contre moi". L'intégrité du territoire en dépend, donc la sécurité.

Par contre, une fois la séparation consommée, il n'y aura pas de ressentiment. Comme on vit au présent, ce qui est passé est passé et ce qui est à venir n'est pas encore là.

J'ai aimé Florence quasiment tout de suite. Je l'ai aimée en toute connaissance de cause, comme si je la connaissais déjà globalement. Bien entendu j'ai râlé sur ses manques et ses exagérations, mais je les ai toujours comprises. Elle ne peut - pas plus que moi - être autre chose que ce qu'elle est. Et je crois bien que c'est ce que je pense de tous les êtres en général. Ils ne peuvent être autre chose que ce qu'ils sont. Le moindre progrès sur soi coûte la peau de son cul et - par répercussion, celui des autres. Je vois trop bien comment nous n'y pouvons rien, même quand on se voit tel qu'on est, qu'on s'en haïsse où qu'on s'en félicite, nous sommes prisonniers de notre vision du monde, qui implique notre comportement, celui-ci nous conduisant irrémédiablement à notre avenir.

Mes années de peinture à l'Atelier du Passage m'ont apportées bien plus que de la peinture. Le spectable merveilleux et terrible de l'Humanité ; des moments de grâce où un être s'ouvre au talent qu'il possède déjà. J'ai vu que les gens sont bien mieux que ce qu'ils croient. J'ai vu qu'un seul peut en faire chier cinquante. Cinquante bien plus tolérants qu'on ne le croit. Capables de compassion, de compréhension et d'amour. J'ai vu ce qui se passe entre les gens, comment on refuse l'autre de s'y reconnaître, comment la méchanceté n'est que de l'impuissance et du malheur. Et j'étais heureux d'être là. En tous points semblable. Pendant treize ans j'ai vu des gens incroyables dans des situations incroyables. Et j'ai pu les prendre dans mes bras, leur dire que je les aime et que rien n'est perdu, jamais, finalement.

Je ne sais qui je dois remercier. Mais mercfi. Merci pour tout.