Georges Faget-Bénard
Peintre graphiste

La pièce tirée du roman de Marie Cardinal m'évoque immédiatement un univers visuel. Cela se passe en Afrique du nord, autour d'une vigne rachetée par un certain Garcia. Celui-ci en profite pour expulser l'ancienne propriétaire qui y habite encore. L'affaire est racontée par la femme, qui exprime sa difficulté de pardonner.
Au premier degré, la chose n'aurait pas grand intéret. Mais le cheminement de la mémoire forme la structure du récit. J'imagine une succession de plans formés de couloirs en rideau noir. Chaque plan exploré - remémoré - découvre le suivant, qui contient les éléments essentiels du souvenir : un fauteuil, une fenètre, des bagages, une table et enfin un espace où elle peut construire sa Cathédrale intérieure.

Lorsque le spectacle commence, elle dort, côté cour, appuyée à un podium décoré à l'orientale, grande fenêtre ouverte sur le ciel, cage à oiseau blanche. Un musicien arabe vétu de blanc y joue du luth sur des coussins. Dans mon esprit, il signifie le désir de pardon, l'issue - toujours possible - vers le haut. Une sorte d'ange accompagnateur.
Bien entendu fidèle au sol noir, je l'ai voulu brillant, par souci de verticalité, et déjà, tous les éléments s'y reflètent, dont le cadre de miroir qui, côté jardin, offre la béance d'une porte vers nulle part.

De la femme endormie au cadre, un cable de marine trace la ligne bleue du souvenir et y disparaît.

Le miroir fait évidemment référence à Jean Cocteau, ainsi que la tenture à l'antique. Lorsqu'elle aura suivi son fil jusque là, elle devra choisir d'entrer ou non "de l'autre côté".
La mémoire est tout ce que nous avons. Il est notre seul bagage. La conscience d'être en surgit. Sans mémoire, pas de pensée, que du constat. Une vache qui oublie d'avoir vu le train.

Se succèdent les éléments de l'histoire passée. Chaque couloir parcouru en suivant le fil bleu soulève le voile épais du rideau suivant. Une fenètre et un fauteuil qui disparaissent, un transat velouté, puis la table du mari défunt, la robe de mariée. Chaque scène rapproche de l'issue, dont on devine qu'elle est au bout du parcours. A chaque étape, silencieux ou jouant un air lointain de luth, l'Ange veille.
Enfin, au centre, apparait ce qu'elle appelle "sa Cathédrale", qu'elle construit patiemment en roseau dans une maison qui va devenir trop petite pour la contenir.

Au bout du chemin, le dernier voile se lève. Le ciel apparait; dans son immensité. La silhouette de l'Ange s'y découpe.

Mais au dernier moment, contre toute attente, elle clame : "Garcia, j'aurais ta peau", et revient au début. Tout se referme. Le pardon a échoué et la damnation va continuer, circulaire et répétitive.

L'ingénieur du son se prénomme Patrick. On le croirait directement sorti d'une décoration Étrusque. Je travaille en ce moment sur le premier degré su Scorpion, très largement illustré par Alexandra David-Néel. J'ai dans l'idée de relier entre elles plusieurs civilisations : Romaine, Chrétienne, Tibétaine, Égyptienne et, justement, le cable de marine bleu que j'ai fait installer sur scène peut parfaitement servir. Je voudrais poser près du cadre-miroir un formidable guerrier, gardien du seuil puis, tout au long du fil à suivre les éléments desdites civilisations. Patrick, d'abord préssenti pour le guerrier est beaucoup plus à sa place dans le rôle de l'Étrusque.

"Dans une salle écorée à l'orientale, un formidable guerrier armé semble défendre un coffre éventré, plein de richesses, au pied duquel gît un homme blessé."


Assis, au fond, devant la stèle égyptienne, le Lama "kidnappé" par Alexandra