Georges Faget-Bénard
Peintre graphiste

Le Garçon chez qui je loge à Marseille est mon partenaire dans la pièce.
Nous nous connaissons très bien. (Pour ceux qui ont suivi toute l'histoire, il est le jeune homme dont j'ai rêvé dans l'épisode "Bubutz")


Dans sa bibliothèque je trouve un petit ouvrage mystérieusement intitulé "Le secret des 360 degrés symboliques", par un certain Hitschler. Tout d'abord dubitatif, Je me jette dessus... et le dévore en une nuit.
J'expurge immédiatement les inférences pour ne conserver que les faits. (Qu'il soit quand même remerçié du travail accompli : les inférences sont inévitables)

*inférence = opération intellectuelle par laquelle on passe d'une vérité à une autre, jugée telle en raison de son lien avec la première. C'est une déduction. Je l'emploie ici dans le sens d'une interprètation moraliste d'une image. Par exemple : "un homme paresseusement allongé sur un tapis" Un homme allongé n'est pas forcément paresseux. Le fait objectif est qu'il est allongé. paresseusement est une interprétation, donc une inférence. Ce n'est pas forcément faux, mais rien ne prouve que c'est vrai non plus. Ce genre d'inférence est très dommageable pour les images des degrés, en incorporant un jugement moral dans une scène qui doit rester objective, mais elles ont leur importance. Par la suite, je les poserai entre parenthèses.

D'après Monsieur Hitschler et la tradition qu'il dit poursuivre, il y aurait une image sur chaque degré du Zodiaque, image qui na pas de rapport avec les Signes, mais constitueraient autant d'archétypes de situations en rapport avec l'Homme social. Tout cela réactualisé au cours des siècles par un ou deux auteurs. Celui du siècle dernier étant connu sous le nom de "L'homme rouge des tuileries". L'ensemble serait présent sous l'autre nom de "Degrés Sabiens". L'origine en serait hiéroglyphique.
Il s'agit de phrases assez courtes, qui peuvent paraître obscures lorsqu'on n'a pas l'habitude des rêves. Or, cela ne me pose ausun problème étant donné que je note mes rêves depuis l'adolescence et que, par mes dessins et mes textes, je vis dedans.
On dirait de minuscules pièces de théâtre, point de départ à toutes sortes de situations. De par mon expérience, je soupçonne l'inconscient de disposer d'un stock d'images "non visuelles" du moins qui ne reposent sur aucune visualisation, mais sur un sentiment. La chose n'est pas facile à décrire. Elle me parait néanmoins essentielle : une image peut être abstraite et ne présenter que des rapports entre des éléments. Ces éléments peuvent être symbolisés par différents objets, mais seul leur rapport compte. C'est ce que je me souviens d'avoir vu à l'Opera dans le travail de Carolyn Carlson, ce que je vois dans l'oeuvre de Bunuel, de Salvador Dali, Jean Cocteau, Jerome Bosch, bien sûr. Chez les Préraphaelites évidemment. Le symbole etant un signe qui représente quelque chose. Lorsqu'on ne sait pas ce qu'il représente, il ne livre rien de son contenu. J'ai l'air d'enfoncer des portes ouvertes, mais c'est malgré tout sa grande difficulté : sans la culture correspondante, on ne peut rien comprendre.

En tant que créateur, je vois cela très bien comment cela se fait : les images jaillissent de moi et viennent sur le papier ou la toile. Mais à l'origine elles n'ont pas de forme. Il s'agit plutôt d'un sentiment, souvent d'une émotion, que j'interprète, que je tente de traduire en lui donnant une forme perceptible. L'image première n'est pas visuelle. Ce n'est ni une véritable émotion, ni une abstraction mais une essence. Il m'incombe de la transposer dans cette société, dans cette civilisation, dans ce siècle. Quelqu'un d'autre la transposerait différemment, selon son milieu et son époque. Je peux moi-même les traduire autrement sans rien changer de leur contenu ou leur sens. Je le fais souvent.
D'où viennent donc ces images qui n'en sont pas?

Se pourrait-il que chacun contienne sa mythologie intime d'images "non visuelles" qu'il reconnaît cependant dans le monde extérieur? Quelle fascination de trouver devant soi -et sous une autre forme -tous les éléments d'un désir, de s'y fondre, d'incorporer la chose, l'ajouter à la construction du "Soi". L'identification à l'identique d'un autre monde.
J'en préssens tous les attraits et aussi les dangers.
Je cherche celle qui prévaut pour mon Ascendant :

14 Verseau
"Un pont brisé au dessus d'un torrent qui roule des eaux tumultueuses et, sur le bord, comme pour le traverser, un homme tient dans sa main un de ses pieds coupé".

On imagine ma surprise et aussi mon inquiétude.L'image du degré est tellement ahurissante que j'en reste abasourdi :La maison de la Creuse est bâtie au dessus de la Gartempe. Un pont de bois relie notre berge à celle d'en face qui, ensuite, rejoint la route. Fin 78, l'état de mon pied est vraiment alarmant, violacé, gonflé comme s'il allait éclater, les ongles jaunes, la douleur effrayante. Et pourtant je ne fais rien pour en sortir. Je suis habité d'une sorte de résignation douce, ou peut-être une préférence. Oui, une préférence... Mais sans qu'il soit possible d'en saisir l'enjeu.
Mais je sais que rien en astrologie n'est "fatal". Il ne s'agit pas de condamnation. Il s'agit de principes, de symboles, de données, de cadre dans lequel agir. Jamais de fatalité, encore moins de réalité.

Peu de temps avant, j'ai appris que Oedipe signifie "pied gonflé". J'ignore ce qui relie les deux termes très exactement, mais dans ce moment de ma vie, je commence à comprendre ce qu'on entend par "Oedipe". Peut-être ais-je mal compris les explications auparavant : je n'ai pas le sentiment d'avoir jamais désiré ma mère. Au contraire. Il y avait trop de mère. Elle est omniprésente, dominatrice, castratrice et cependant mon seul recours. J'aurais plutôt désiré mon père, pour pouvoir accéder à l'état de mâle et quitter l'enfant.
Mais ce père est inaccessible, il n'y a pas moyen de sortir du ventre abstrait de la mère. J'appelais cela, dans ma mythologie intérieure : "se mélanger les cheveux". J'ai mélangé mes cheveux à ceux de ma mère.

Par ailleurs, j'ai pu expérimenter comment fonctionne l'inconscient, par allusions, glissement de sens, jeu de mots. Il n'est pas vraiment inconscient, mais plutôt paralelle. Il fait croire qu'il n'est pas important, qu'il est sans conséquences, que les idées fugaces, les images qu'il propose n'ont pas de sens, que ce sont des "conneries". J'ai pu remarquer qu'il est constitué aussi de tout ce que nous ne voulons pas considérer, ce qui nous gène, ce qui est, pour une raison ou une autre, interdit, soumis à la pression sociale, refoulé. Il contient aussi des informations et de faits que nous échouons à régler, par manque de temps ou par incompétence, même si elle n'est que momentanée. L'inconscient n'est pas quelque chose qui existe "en dehors de nous", il est au contraire notre plus intime personne, le vaste espace intérieur dans lequel on trouve absolument tout pour peu qu'on accepte d'y accéder. Je n'ose dire : y descendre.
Je suis persuadé que cette menace sur mon pied représente, d'une manière ou d'une autre, une incapacité intérieure d'avancer. La solution est dans mon histoire.